Depuis trois ans, le nombre d’accidents d’avion ne cesse d’augmenter ; en 1910, la Ligue Nationale Aérienne tient une conférence au cours de laquelle, l’idée d’employer le parachute pour assurer la sécurité en aéroplane est envisagée.
En mars 1912, le Capitaine américain Albert Berry saute au-dessus de Saint-Louis. Installé sous un biplan piloté par Janus, il se jette de d’une hauteur de 500 m ; le saut est un succès cependant Berry lui-même émet des réserves quant à l’utilisation du parachute par un aviateur seul à bord d’un avion en détresse.
En 1913, un certain Frédéric Bonnet, dauphinois comme Pégoud est monté à Paris à la recherche d’un pilote pour expérimenter son invention. Il s’agit d’un nouveau système de parachute maintenu sur le fuselage au moyen d’une plaque incurvée tenue par une chambre à air et que l’on peut libérer à tout moment en plein vol en cas d’avarie. Le parachute composé de trois tissus différents mesure 11 m de diamètre et comporte un trou de 14 cm en son centre. Bonnet espère ainsi remporter la prime promise. Le 5 août au matin, Bonnet présente son invention à Pégoud qui, sans hésiter lui répond « Votre parachute est une merveille ! Il sauvera la vie à bon nombre de pilotes. Je tiens à l’expérimenter le plus tôt possible ».
Pégoud et Bonnet à Châteaufort (78) le 16 août 1913
La rumeur court…Pégoud et Bonnet mettent à exécution leur projet dans le plus grand secret. Ils font l’acquisition à Issy-les-Moulineaux d’un vieux Blériot XI réformé « tenant de la bique et du lapin » pour reprendre leur propre expression. Pendant ce temps, la rumeur enfle… dans les baraquements des aérodromes avoisinants, le bruit court qu’un "fou", a décidé de s’élever sur un aéroplane, puis de l’abandonner en plein vol en confiant sa vie à un parachute. D’avis unanimes, c’est une idiotie vouée à l’échec ! A Buc même, la nouvelle arrive aux oreilles de Louis Blériot qui s’empresse à dire « S’il s’agit de l’un de mes pilotes, je ne pourrai pas l’en empêcher… mais s’il n’y laisse pas sa peau, ce n’est pas chez moi qu’il trouvera à s’occuper ensuite ! ». Pégoud a vent de ces sarcasmes mais les ignore et poursuit son projet sereinement…
L’aéroplane sera sacrifié pour l’expérience.
Un premier essai infructueux : Le 16 août, vers 17h, sur l’aérodrome Borel situé à Châteaufort, il prend place à bord du vieux Blériot XI réformé. Equipé d’un solide harnais de cuir, il est relié au parachute qui est allongé sur le fuselage. Il prend la pose devant quelques photographes et décolle promptement. Laissons lui la parole : « Je monte à 100 m péniblement, je cherche à monter encore, mais le coucou descend à 80. Alors, je déclenche mon parachute et pique en coupant le moteur. Je me retourne debout pour voir le parachute se déployer. Mais rien ! Il reste aplati. Alors j’atterris dans un champ sur un tas de gerbes ».
Pégoud est prêt au décollage, le parachute replié sur le fuselage.
Le second essai sera le bon ! Trois jours plus tard, le mardi 19 août, Pégoud et Bonnet réitèrent leur expérience toujours au départ de Châteaufort. Cette fois, après un test au sol, ils sont sûr d’eux et ont convoqué la presse. Même une équipe des actualités cinématographiques Pathé a fait le déplacement de Paris. Le public, lui aussi mis en éveil par le précédent essai est venu en nombre ainsi que quelques pilotes. On fait les derniers réglages du moteur récalcitrant… quant tout à coup, deux gendarmes surgissent, suivis du Maire. Tous trois sont mandatés par le Préfet de Seine-et-Oise pour interdire « pareille épreuve de nature à présenter un grave danger, tant pour l’expérimentateur que pour le public ». Alors que les négociations s’enlisent, coup de théâtre, un riche propriétaire du village, M. Quesnel, propose que l’essai se produise au-dessus de son domaine privé. A court d’arguments, les autorités cèdent, et vers 18 heures, Pégoud s’envole vers son destin… La foule se précipite au bord de la colline qui domine la vallée. L’avion apparaît, se met en piqué… soudain, la petite corolle de soie blanche s’en détache. Le pilote est sauvé.
"Mon coucou fait le guignol tout seul"
L’avion refuse de s’écraser : Contre toute attente, alors livré à lui-même, il forme dans le ciel, pendant 30 secondes, de curieuses arabesques. Il fait un looping des plus réussis puis, se redresse en souplesse, décroche sur la queue et repart à plusieurs reprises à la conquête des cieux. Il semble vouloir repousser le moment de sa chute pourtant inéluctable.
Voici ce que Pégoud note dans ses carnets : "Epatant ! Je monte à 100 mètres et me dirige droit sur la vallée, je décris un grand cercle et reviens face au vent. Je déclenche en piquant : le parachute se déploie en deux secondes. Après, je suis arraché le long du fuselage prenant un bon coup de stabilisateur dans l’épaule. L’appareil se dérobe. Mon parachute se tient étonnamment, malgré plusieurs cordes cassées. Je fais de la balançoire pendant que mon coucou fait le guignol tout seul. Ce gaillard-là, quand je l’eus débarrassé de ma personne, se sentant plus léger, pique, remonte verticalement, glisse sur l’aile, se rétablit, repique, se redresse, repique encore et s’écrase chez M. Quesnel. Moi, doucement, en père Peinard, je vais m’enchasser dans la forêt" !
Source de l'auteur Pascal Bouchain